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Photo du rédacteurFrancois Gautier

UNE STAR FRANCAISE A BOLLYWOOD

Par François Gautier / Mumbai,

Sur ce plateau de cinéma à Bombay, on tourne une scène typique de Bollywood : costumes extravagants, chansons populaires et danses effrénées. L’actrice principale virevolte et se pavoise, telle une reine, entourée de dizaines de figurants et de figurantes, « Cut », hurle le metteur en scène. « Bravo Kalki, dit-il à son héroïne, vous avez été formidable ».

Kalki Koechlin, 28 ans, est aujourd’hui une des grandes stars de Bollywood… Et pourtant, c’est une Française bien de chez nous – une alsacienne, pour être plus précis, dont l’arrière grand-père, Maurice Koechlin, fut l’ingénieur de la structure de la Tour Eiffel ! « Mes parents sont arrivés en Inde à la fin des années 60 par la route des hippies et se sont installés à Auroville, près de Pondichéry et c’est là que je suis née », raconte-t-elle.

Kalki grandit donc à Pondichéry parmi ses amis indiens et parle couramment le tamoul, la langue du Tamil Nadu, où se situe cet ancien comptoir français: « lorsque j’étais petite, je ne pensais jamais que j’étais blanche. Ce sont les adultes qui m’ont faire sentir que j’étais une occidentale, lorsqu’ils ont commencé à me regarder différemment ». A neuf ans, sa mère l’emmène pour la première fois en France: « J’ai découvert la neige que je n’avais jamais vue et j’ai même fait du ski » . Mais elle se rend compte qu’elle n’est pas comme tout le monde : « j’avais un accent, j’étais différente et je ne me sentais pas aussi à l’aise que les autres enfants ; je voulus donc rentrer en Inde assez vite ».

Elle se retrouve en pension chez les bonnes sœurs dans les montagnes du Tamil Nadu. Mais très tôt, c’est le théâtre qui la passionne : « Nous sommes tous des acteurs, explique-t-elle, chacun a différents masques, et passer consciemment d’un masque à l’autre, c’est la recherche de soi-même, comme l’a toujours soutenu la spiritualité indienne ».

Elle part donc à 19 ans en Angleterre étudier le théâtre dans le très sérieux Goldsmiths College de l’Université de Londres… Là, elle maîtrise les grands classiques, étudie l’histoire du théâtre mondial et apprend même à écrire des scénarios. Cela la passionne, mais une fois de plus, elle a le spleen : « Londres, c’est gris, il ne fait jamais beau, les gens ne sourient pas… Le ciel bleu de l’Inde et les sourires de ses enfants me manquaient ».

Quand elle rentre en Inde, elle décroche un petit rôle dans une pièce de théâtre à Bombay (Mumbai), où elle s’installe. Mais ce n’est ni la gloire, ni la fortune : « je survivais en étant mannequin et j’écrivais des scénarios à mes heures perdues ». On lui proposait toujours des rôles stéréotypés et caricaturaux de ‘blanche’ avec des minijupes, pour figuration dans des danses bollywoodiennes. « Moi je répondais que ‘je suis noire dedans, sourit-elle, mais comme Astérix, je suis tombée dans une marmite, ce qui m’a rendue blanche’ ».

Finalement, En 2007, elle obtient son premier break : un rôle de prostituée métisse dans Dev D, un film tiré du célèbre roman Devdas de Sarat Chandra Chattopadhya:. Le film est dirigé par Anurag Kashyap, son futur mari : « Anurag, m’a proposé ce rôle important dans son prochain film – à condition que j’apprenne à parler le hindi en deux mois ! J’ai dit oui tout de suite ». Dev D est encensé par la critique et remporte plusieurs prix, dont celui de meilleur second rôle pour Kalki. Sa carrière est lancée.

Anurag Kashyap, une fois le film terminé, demande à Kalki de sortir avec lui. La première réaction c’est la méfiance, car même si elle aime l’Inde, c’est quelquefois dur d’être une femme occidentale ici : « Cela commencé très jeune, dès ma puberté – les garçons qui venaient me parler parce que j’étais blanche, et ils n’avaient pas le même respect pour moi que pour les Indiennes. Quand on est enfant on pense pas de trop sinon je serais devenue folle ». Et quand on lui demande le pourquoi de cette obsession de la peau blanche en Inde – les crèmes pour se blanchir le visage, les aisselles, le vagin même, qui se vendent comme des petits pains, elle répond : «beaucoup d’Indiens de la nouvelle classe moyenne ne connaissent de l’Occident que des séries américaines comme Baywatch, ou Bold & Beautiful et ils pensent que cela se passe comme cela dans la vie »! Puis après un moment de silence, lucide, elle dit: « Il y a aussi ce miroir de Bollywood qui montre de plus en plus des jolies figurantes occidentales, plus ou moins déshabillées, qui se trémoussent devant des mâles, ce qui peut donner l’impression que les blanches sont faciles ».

Mais Anurag était différent : « Il ne projetait pas d’image macho comme tous ces hommes de Bollywood et c’était rafraîchissant. Je lui disais que c’était trop bateau, le metteur en scène et son actrice qui sortent ensemble, mais il s’en fichait… »

En plus, il lui propose le rôle principal dans son prochain film, That Girl in Yellow Boots (2011), dont Kalki aide à écrire le scénario. C’est l’histoire d’une jeune anglo-indienne à la recherche de son père, qui travaille dans un massage parlour de Bombay. C’est un film âpre et sombre, mais Kalki en est fière : « C’était mon rôle le plus dur et ce fut un grand succès en Inde ; le film est même sorti en Allemagne, en Belgique, en Amérique et en Angleterre – mais pas encore en France »…

Parlons donc de Bollywood, car les films Bollywood, c’est souvent la même histoire. Il y a toujours beaucoup de chansons, de danses, de drames familiaux… et très peu de crédibilité… « Oui, rétorque Kalki, mais en même temps, cela émane aussi de l’ancienne culture indienne, avec sa musique, son folklore et son sens de la famille. Les films de Bollywood reflètent également cette grande qualité indienne qui est celle de l’espoir – même lorsque vous êtes au fond du trou, il y a la lumière au bout ». Alors ce n’est donc pas de l’escapisme ? « Tout ce qu’on a en Inde, la culture, la religion, c’est pour rêver et on croit tellement en Dieu ici – on a un dieu pour tout, il y a des millions de temples avec chacun une déité différente, cela afin d’espérer – c’est ça aussi Bollywood, une manière d’espérer ».

Kalki pense tout de même qu’il y a un nouveau cinéma qui émerge en Inde, dont son mari est un des porte-drapeaux: « Oui, un cinéma commercial, mais qui essaye de refléter plus la réalité indienne, comme les films qui fustigent la corruption et le pouvoir autocrate – ceux de Vishal Bhardwaj, par exemple, qui a dirigé Kaminey (2009) ; Pan Singh Tomar (2010), aussi, un très beau film, qui conte l’histoire vraie d’un coureur oublié devenu bandit des grands chemins». Elle a aussi ses acteurs préférés : « Pryanka Chopra, une actrice de talent, qui a démarré fort dans Bollywood, mais cherche maintenant à faire des films différents, Amir Khan, quelqu’un de sensible »…

Les films d’Anurag Kashyap sont toujours osés : Dev D touche à la prostitution, l’héroïne de Girls in Yellow Boots masturbe quelquefois ses clients (dont son père, sans le savoir) pour se faire une peu plus d’argent et Gangs of Wasseypur, le dernier film d’Anurag, est d’une rare violence pour un film indien. Justement Kalki a déjà eu maille à partir avec la censure indienne : « Je crois que la colonisation britannique a imposé une culture victorienne qui perdure en Inde, alors que c’est le pays du kama sutra. Les jeunes ici ont envie de liberté et en même temps, ils sont emprisonnés dans le carcan de leur société». Pourtant, les vieux films, tel Umrao Jaan (1981), l’histoire d’une célèbre courtisane du XIXè, un classique du cinéma indien, n’étaient-ils pas beaucoup plus mûrs sexuellement,? « Absolument, surenchérit Kalki, un film qui parle de la sexualité, comme Life in the Metro (2007, d’Anurag Basu), où des adultes complètement habillés parlent du sexe, est censuré, alors que les films de Bollywood, où les filles sont à moitié déshabillées et font des gestes obscènes, passent la censure ».

Kalki s’est mariée en 2011 avec Anurag et est même venue avec lui présenter Gangs of Wasseypur au dernier Festival de Cannes, où elle a défilé sur le tapis rouge, resplendissante en sari. Aujourd’hui Kalki Koechlin est célèbre en Inde et doit signer des autographes à chaque fois qu’elle met le nez dehors à Mumbai. Elle enchaîne film sur film, dont Zindagi Na Milegi, très bollywoodien, qui se passe principalement en Espagne (2011), ou Shanghai, calqué sur Z, qui vient de sortir, où elle joue le rôle de la femme du député assassiné.

Kalki est une actrice intelligente, qui choisit soigneusement ses films et essaye de ne pas se laisser enfermer dans le stéréotype de la blanche hippie ou de la métisse. Elle ne rejette pas non plus son identité française, bien au contraire, mais a tout de même pris sa décision: « C’est ma maison ici, c’est chez moi. L’Inde est mon pays »…

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