UN GOURU FRANÇAIS EN INDE : DU RHONE A LA NARMADA
Reportage à Nikora, Gujarat, par François Gautier
Un des plus grands adeptes du tantrisme, ancienne discipline de l’hindouisme, est un Français, qui possède son ashram en Inde.
C’est un village perdu au fond du Gujarat (centre de l’Inde). Insignifiant, oui, mais au bord de la Narmada, un des fleuves les plus sacrés des hindous, qui coule, puissant et bleu en bas de la falaise. Là, sur la rive gauche, un petit ashram, avec une pancarte en gujarati qui dit: « Shri Mata Nilayam », ce qui veut dire ‘la Demeure de la Mère Divine’. Et Ô surprise, le gourou de cet ashram est un blanc - et même plus, un Français !
Né Gil Tardif, dans la ville de Valence, sur les rives du Rhône, le plus puissant des fleuves de France, il a une enfance normale. Dans les années soixante comme beaucoup de jeunes, il est fasciné par la musique des Beatles et des groupes américains de la côte ouest : « je passais des heures à écouter leurs disques, raconte-t-il aujourd’hui, la musique était devenue pour moi une sorte d’opium, même si je ne me suis jamais adonné à la drogue. » Une fois son bac obtenu, Gil ne savait pas quoi faire : totalement non violent par nature, il était opposé au service militaire. Déjà spiritualiste avant l’heure, il était à l’époque plongé dans l’étude des Cathares et des mystiques français du Moyen-Âge et avec un groupe de camarades, avait fondé une petite société occulte : « nous essayions de distinguer les auras autour de nos têtes et de percevoir les différentes enveloppes qui entourent notre corps physique », sourit-il.
Assoiffé d’aventures, il part en stop vers l’Afrique, et atterrit Mombassa, qui abritait alors une importante communauté indienne. C’est là qu’il tombe sur un immense temple hindou dédié au seigneur Shiva, dont il n’avait jamais entendu parler auparavant : « je n’avais plus d’argent, et plus rien à manger et je me suis donc mis à prier – si c’est ici la maison de dieu, alors que dieu me vienne en aide. » La nuit allait tomber et Gil aperçoit le brahmane du temple à qui’ lui demande l’autorisation d’y dormir. Après le dîner, les deux hommes discutent, Gil raconte qu’il est sur le chemin de l’Inde car il cherche son gourou’. Puis s’endort sur un banc en pierre et pendant la nuit, un étrange rêve lui vient : le pujari (prêtre) lui apparaît et lui dit que son « satgourou » (son vrai gourou) l’attend en Inde et que toutes ses vies antérieures l’ont préparé pour ce moment. Quand il se réveille, Gil pleure des chaudes larmes. Il reste donc plusieurs mois dans ce temple où on lui alloue une petite pièce près de l’autel. C’est là qu’il commence à être initié aux pujas, rituels hindous, aux yagnas, qui sont des purifications par le feu, et aux satsangs, là où les fidèles entonnent des chants dévotionnels au dieu Shiva. Puis il quitte Monbassa sur un bateau et atteint Bombay le 23 mai 1974 – cela faisait six mois qu’il avait quitté la France et il avait l’équivalent d’un euro en poche.
Le lendemain, il achète un billet de chemin de fer de troisième classe pour Hardiwar, ville sacrée pour tous les hindous, car c’est là que le Gange pénètre dans les plaines après sa course folle dans les Himalayas. Il lui restait 50 paisa (7 cents d’euros). il devint donc sadhou, c’est-à-dire qu’il ne possède plus rien, hormis deux pagnes de tissu orange, l’un pour se couvrir la taille et l’autre la poitrine, ainsi qu’un bol de fer dans lequel il faisait ses ablutions du matin et mendie sa nourriture. Un jour, il accompagne un ami à Rishikesh, un peu plus haut sur le Gange, pour rencontrer un sage : « c’était le soir écrira t-il plus tard, nous sommes entrés dans le kutir (cabane) par une vieille porte en bois, un sadhou était assis là sur un petit fauteuil en bambou et tout de suite je ressentis une aura de paix, d’amour et de lumière ». Gil avait trouvé son gourou et se prosterna à ses pieds.
Très vite, son gourou, qui s’appelle Shri Dhyanyogi Madhusudandasji, l’initie au tantrisme : il le fait asseoir à côté de lui et lui commande de fermer les yeux : « j’ai d’abord senti des vagues glacées se rapprocher puis après avoir perçu les lumières, je vis un grand cobra doré – c’est alors que mon corps se mis à se mouvoir d’avant en arrière, tel un cobra, alors que ma tête se redressait ». Son gourou lui explique que toutes ces expériences sont le résultat de l’éveil de la kundalini, cette source d’énergie à la base de la colonne vertébrale, qui grâce à certaine pratiques, ou bien par la grâce du maître, se lève vers la tête en parcourant les sept chakras définies par les hindous, pour finir en apothéose au sommet du crâne. Puis, son gourou lui donne le nom de Swami Jayramdas, ce qui veut dire ‘Victoire au serviteur de Ram’ (grande divinité hindoue)… et lui enjoint, comme le font encore tous les sadhous, de se rendre à pied aux 4 grands pèlerinages himalayens (Gangotri, Yamunotri, Kedarnath et Badrinath).
En 1998, après la mort de son gourou, Swami s’installe donc à Nikora. On lui donne un terrain abandonné et avec l’aide de quelques amis, il construit son petit ashram. Pourquoi la Narmada ? « C’est la kundalini shakti, répond-t-il, cette rivière a une puissance spirituelle extraordinaire, elle est très belle, très calme et n’est pas polluée. ». Justement, ce soir-là, au bord de la Narmada, qui coule, paisible et large, Swami Jayramdas, comme tous les gourous qui vivent au bord de ce grand fleuve, lui exprime sa reconnaissance en faisant tournoyer autour de sa tête l’aarthi (photo), le feu, qui symbolise à la fois la dévotion et l’aspiration à faire brûler toutes les imperfections de l’homme. Puis, il dépose sur l’eau un petit récipient fait de feuilles tressées de bambou dans lequel brûle du camphre. Peu à peu, la flamme portée par le courant s’estompe puis disparaît. Le gourou français sourit et rentre chez lui.
Encadré
Qu’est-ce que c’est que le tantrisme ? C’est une discipline ésotérique du shaktisme, qui est l’adoration de l’aspect féminin du divin. Swami Jayramdas pratique une branche du tantrisme qu’on appelle le « srividya », qui est totalement consubstantielle aux Vedas, les textes fondateurs de l’hindouisme.
Le Shri Vidya, n'est pas une abstraction intellectuelle mais une méthodologie pratique et progressive qui utilise un certain nombre d'outils éprouvés (y compris et souvent par d'autres Yogas) pour arriver à ses fins : la réalisation du Soi et l'union totale du sadhak (chercheur) avec la Divinité. Dans ces outils, on préconise notamment une utilisation extensive de certains mantras (formulations sacrées), de certains yantras (diagrammes mystiques) de pujas (rites d'offrandes et d'adoration) ou de yagnas (cérémonies du Feu), etc... Au premier plan du Shri Vidya se trouve le grand questionnement védantique du Jñana Yoga (yoga de la Connaissance): "Qui suis-je ?", ainsi que l'approche de la Bhakti, la voie de la Dévotion.
Citation : Finalement, un matin de décembre 1973,
j’ai quitté le domicile familial avec un sac à
dos pour tout bagage. Ma mère m’avait préparé
un gâteau de citrouille pour la route. J’avais
rassemblé suffisamment d’argent de mes différents
emplois et quittais maintenant ma
maison dans le froid hivernal.
En écrivant ces lignes quelque quarante ans plus tard, des larmes me viennent
aux yeux. Le moine blanc de Nikori n’a pas
oublié le passé., sa famille, son pays d’origine ;
il n’a rien de plus à faire de tout cela, mais,
pourtant, toute sa vie s’est bâtie grâce à cela ;
ce fut le point de départ d’un long voyage,
d’un long chemin vers Dieu et vers la liberté..
Aujourd’hui, il contemple
le passé et essaie de comprendre et d’analyser
le chemin déjà. parcouru ! La transparence des
eaux de la Narmada lui sert de miroir. ..
DATES
Né. en juillet 1954 à Valence
Décembre 1973, quitte le domicile familial
Atteint Bombay le 23 mai 1974.
Rencontre de son gourou le 4 juillet 1974
Mai 1998, fonde son ashram à Nikora, Gujarat.
* Pour ceux qui voudraient rendre visite à swami Jayramdas : avion de Bombay à Baroda puis par la route (80 km en taxi) de Baroda à Nikora. Renseignements : francisroquet@gmail.com
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